On devrait écrire aux portes des aumôneries : " Attention : un train peut en cacher un autre ". Ou plutôt : " Attention : une communauté peut en faire démarrer une autre ". Car c'est bien de cela qu'il s'agit... Et il n'y a pas lieu de s'en excuser ! Bien au contraire !
Votre rencontre à la Catho il y a quelques années, vous a conduits, Odile et Christophe, à fonder une nouvelle communauté... Et nous sommes là, cet après-midi, ensemble, pour nous en réjouir et reconnaître dans le chemin que vous prenez l'étrange présence discrète de Dieu. C'est notre raison d'être là.
Je voudrais tout simplement vous proposer - à vous -, mais aussi tous ceux que vous avez bien voulu inviter - de réfléchir à ce que c'est que l'amour et à le contempler comme un mystère. Non pas un " mystère " parce qu'on ne peut pas le comprendre, mais " mystère " parce qu'il est insondable, et qu'on n'aura jamais fini - que vous n'aurez jamais fini - d'en découvrir les facettes...
Il y a d'abord une première chose qui me surprend, c'est que beaucoup de gens se croient du génie de l'amour. A force d'écouter des couples, je peux vous dire, Odile et Christophe, que le génie est plutôt rare ! et qu'il est rare dans tous les ordres. Et que le génie, quand il existe, ne dispense pas de la patience et de l'étude. C'est ma première remarque : on ne se marie pas parce qu'on est des génies en amour. On ne se marie pas parce que l'on croie s'aimer... Mais on se marie parce qu'on a en soi le désir d'aimer. Le mariage est une école. Pas un diplôme. Une école de l'amour, parce que l'amour s'apprend...
Vous avez sans doute remarqué - comme tout ceux qui aiment -
que spontanément, l'amour est très égoïste :
on a besoin d'être aimé. Au mieux, on a besoin d'aimer
Mais ce n'est que peu à peu que l'amour devient une " attention
au bien de l'autre ". Il y a beaucoup de relations humaines qui
se brisent parce qu'on en reste seulement à un " j'attendais
beaucoup de lui "
alors qu'il aurait fallu dire " j'ai
décidé de prendre soin de toi ".
Il y a une expression qui me fait sourire, c'est quand on parle de " lune
de miel " : c'est le temps où curieusement deux égoïsmes
coïncident. C'est le temps où tous les deux éprouvent le
même plaisir à être ensemble. Mais pendant ce temps-là,
il demeure impossible de discerner si chacun aime véritablement l'autre
ou seulement son propre plaisir.
La " lune de miel " dit-on, se termine quand le plaisir
s'efface, quand l'agacement et la contradiction pointent le bout du nez, quand
l'un ou l'autre ne se sent plus aimé pour lui, quand la lassitude prend
le dessus. Or, c'est justement à ce moment là que se présente
l'occasion d'aimer vraiment, d'aimer l'autre pour ce qu'il est, et non d'aimer
son propre plaisir.
La deuxième petite chose que je voudrais vous dire, c'est qu'il faut que vous sachiez que l'amour se cherche et grandit à travers des crises, ou tout au moins des mutations. Il faut que vous sachiez que ce qui risque toujours de tuer l'amour, ce n'est pas la difficulté, mais la facilité. Et que vous sachiez que l'amour qui s'endort tranquille risque toujours de ne jamais se réveiller. Vous trouverez le vrai bonheur lorsque la vie vous obligera à creuser en vous pour trouver, dans les ressources que vous ne soupconnez même pas, le jaillissement d'un plus réel amour. L'amour est un labeur. Une tâche à accomplir.
Troisième petite remarque : l'engagement que vous prenez aujourd'hui n'est pas une " loi ", un " passage obligé " mais une exigence de l'amour, un caractère de l'amour.
Vous avez sans doute vu cette publicité mensongère qu'on trouve
sur les murs de nos villes tous ces temps ci. Il s'agit d'une publicité
pour les téléphones portables : elle dit : " Pas d'engagement.
Enfin, nous sommes libres ! ".
C'est peut-être la tendance actuelle de dire des choses comme celles
là, mais il faut savoir qu'il s'agit d'un mensonge. Et puis le dénoncer.
C'est toujours l'engagement qui conduit à une vraie liberté.
On est vraiment libre que lorsqu'on s'engage. Vous vous engagez aujourd'hui
dans le sacrement du mariage. Il ne s'agit pas - vous le comprendrez
bien - de vous mettre à deux pour rester ensemble même si
un jour vous ne vous aimiez plus. Votre engagement d'aujourd'hui, c'est une
promesse qui va vous faire entrer dans la liberté de l'être,
parce qu'aujourd'hui, devant nous, vous allez vous promettre de vous aimer
toujours. Et Dieu, que vous prenez à témoin aujourd'hui, va
vous donner le goût de cette liberté là.
Quatrième petit point : c'est une question. A quoi reconnaît-on
un véritable amour ?
Le véritable amour est créateur. Il crée les êtres :
il donne d'exister et de grandir. Vous allez-et vous avez déjà
commencer- à vous crées mutuellement. La force et la vérité
de votre amour se vérifiera, au fil du temps, aux transformations qu'il
obtient.
Vous allez découvrir aussi, au fil du temps qui passe, que le véritable
amour n'est pas -comme on le dit stupidement - aveugle. L'amour voit
les faiblesses de l'autre mais il se sent capable de les porter. Surtout s'il
voit ce qu'il est capable de susciter dans l'autre à force de l'appeler.
Il y a un acte de foi que je vous invite à poser pour toute votre vie
- en couple, avec les enfants que vous aurez, et aussi avec d'autres :
c'est que l'autre a infiniment plus d'avenir que de passé ! Il
y a quelque chose de triste dans les relations humaines, c'est de juger quelqu'un
sur son passé, sur ce qui, de lui, est fossilisé, chosifié,
tué. Mais il y a quelque chose d'étonnant dans l'amour, c'est
cette capacité de deviner ce que l'autre est encore capable de devenir.
C'est pour cela que l'amour est inquiétude.
Entendez bien le mot. Etre inquiet, cela veut dire " être
sans repos ". Je vous souhaite l'onquiètude de l'amour. Autrement
dit, d'être éveillés à l'autre, jour après
jour.
Cinquième petit point - j'arrêterai là , car vous
pourriez me croire bavard ! - c'est que Dieu n'est pas jaloux de
ce qu'on donne à ses créatures.
Autrement dit, Odile et Christophe, vous devenez l'un pour l'autre le premier
visage de Dieu. Et l'amour que vous vous donnerez l'un à l'autre, ce
sera la manière la plus honorable de l'aimer, lui qui est votre source
et votre achèvement.
Tout ce qui est donné à l'autre lui est donné aussi,
et en même temps. L'autre est toujours le " tenant-lieu "
de Dieu.
Vous avez beaucoup d'amis qui vous observent. Ne cherchez jamais à convaincre d'autres que le mariage est une belle aventure. Ne vous aventurez surtout pas dans des grandes théories. Je vous invite seulement à vivre. A vivre le plus simplement possible, le plus joyeusement possible. Et vous deviendrez peut-être- mais cela ne vous regarde pas, une parole pour d'autres.
Prenez soin de vous. Et tâchez (parce que c'est un sacré travail !) de vous rendre quotidiennement heureux. Et d'en rendre d'autres heureux aussi.
Je vous souhaite un beau chemin d'amour. Et de liberté intérieure.
Raphaël Buyse
Vendredi 31 août 2001